« Je suis capable de recommencer six fois la même planche pour l’améliorer. Pourtant, je n’ai pas du tout d’admiration pour mes dessins. Je suis foudroyant, spontané et mon trait est électrique et cristallisé. »
Alors pourquoi avoir choisi cette voie ?
« Mon père Jean, qui est un sculpteur très doué, recevait après guerre des amis peintres qui crevaient de faim et qui refaisaient le monde chaque soir parce qu’ils s’y sentaient très malheureux. Je me suis dit que je deviendrais comme eux si je me lançais dans l’imposture de l’art moderne.
J’avais conscience en même temps qu’Hergé, dont la découverte avait provoqué en moi une véritable illumination, ne serait jamais rattrapé, mais que l’âge d’or de la bande dessinée allait seulement arriver. »
Jean Pleyers commence alors à mettre à l’encre des dessins de Gérald Forton dans Pif et réalise ses premières BD, en particulier deux « belles histoires de l’Oncle Paul », pour Spirou, ainsi que 2000 planches adaptées de romans du Fleuve noir : « Ce furent quinze années de galères, 36 boulots et 36 misères : barman, cardeur en usine, capsuleur à la chaîne, tireur de ski nautique, figurant à l’opéra et au cinéma – j’ai même tourné avec Roger Moore ! – ». ...Comme Hemingway, Pleyers pratique un peu la boxe et voyage beaucoup. Un soir, en Espagne, il organise des séances de spirites pour les touristes qui s’ennuient. Le surlendemain, avant de s’attirer de sérieux ennuis avec les gardes civils, on le retrouve ermite au milieu du désert.
Au retour du Sahara, c’est sa rencontre avec Paul Cuvelier, l’auteur de Corentin, qui le propulsera dans la cour des grands : « Cuvelier, chez qui j’ai squatté pendant une dizaine d’années, c’était le Michel-Ange de la bande dessinée. Il vivait dans de vieilles ambassades, entouré de drogués homosexuels, peignant des miniatures pornographiques et jetant des anathèmes sur le monde entier. Se brûlant intérieurement jusqu’à finir emporté, à 54 ans, par un cancer généralisé. » Pour tenir la promesse qu’il avait faite à Cuvelier avant sa mort, Jean Pleyers va frapper à la porte de Jacques Martin, le géniteur génial d’Alix, celui qu’il appelle son troisième père : «  C’était en 1977. Martin a regardé mes dessins, m’a demandé de reprendre, d’après son scénario, les aventures de Xan, qu’il voulait d’abord confier à Cuvelier. J’ai essayé, je me suis planté, j’ai recommencé quatre fois et c’est parti ! »


Gérard Charut, Magazine de L’Est républicain n° 152,1993 .....................................

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